Fiji est une jeune femme de 23 ans, qui a vécu la prostitution de ses 19 à 21 ans. Elle a participé à la marche mondiale des survivantes, en Allemagne et en Belgique, en mars-avril 2019. Voici son témoignage après ces 3 semaines d’action, de rencontres et de sensibilisation.
« J’aimerais que les autres qui vivent en-dehors du système prostitutionnel comprennent mes souffrances et la détresse dans laquelle mes violeurs, prostitueurs ou non, m’ont plongée. La dépression me maintient sans cesse dans ce passé, je sens constamment des mains sur mon corps, j’ai souvent envie de boire, de nuit comme de jour, j’aimerais hurler de douleur et m’arracher la peau, mais tout ce que vous aurez, c’est parfois un visage vide d’émotions, parfois un sourire factice et des paroles pré-enregistrées, « ça va », « oui, je vais bien, je suis juste un peu fatiguée ». Évidemment que non, ça ne va pas. Depuis l’enfance, j’évolue dans un monde rempli de messages subliminaux qui me font comprendre que la femme n’est qu’un outil de masturbation à pénis. Qu’on soit prostituée ou non, les femmes se sentent en danger dans la rue, au travail, au foyer, ou dans la prostitution, parce que les hommes SONT un danger pour nous. Pourquoi ? Parce que nous savons que nous sommes déshumanisées par eux. C’est scandaleux de vouloir réglementer l’exploitation et la marchandisation de nos corps. Nous ne sommes pas des objets.
J’ai une dent contre ces « féministes » libérales qui ont le même discours que mes prostitueurs pour me convaincre de rester leur esclave sexuelle, que la prostitution est un travail comme un autre. Moi, ce que je vois, c’est qu’on prend la défense d’hommes violents et qu’encore une fois, on laisse se démerder la victime en la décrédibilisant. Où est votre soi-disante « sororité » ? C’est d’une insensibilité sans nom. La question de la prostitution divise les femmes entre elles, en femmes de première classe qui sont à peu près « protégées » par des femmes de seconde classe qui accepteraient « volontairement » de réduire le taux de viol en se faisant violer à leur place. Ah… comme si les hommes étaient incapables d’altruisme et d’humanité. Il n’y a pas de logique là-dedans. Ce féminisme-là ne nous sauvera pas. Oui, je suis une survivante de la prostitution. Oui, je suis féministe radicale et abolitionniste. Abolitionniste de toute forme de domination patriarcale, voilà tout.
L’argent ne pourra jamais dédommager les tortures physiques et psychologiques que les hommes m’ont infligées. Peu importe les formes qu’on y met, des restos, des cadeaux, des gestes affectueux, ou pas ; dans la prostitution, le consentement n’existe pas et c’est, de facto, une violence sexiste et sexuelle car la domination de l’homme sur la femme est là. « Parce qu’ils ne veulent pas entendre un Non, ils achètent notre Oui » a déclaré une autre survivante. Ils savent très bien ce qu’ils nous font et l’humiliation que c’est d’avoir perdu notre autonomie et notre intégrité, mais c’est de moindre importance, puisque nous existons que dans l’ombre et que si on parle, tout le monde se moquera de nous car nous avons « accepté » l’argent. Les hommes sont ceux qui maintiennent les femmes dans cet état permanent de subordination. Ce sont eux, les coupables. La honte doit changer de camp. Le libre-choix n’existe pas pour les femmes, hormis celui de s’émanciper du patriarcat. Et c’est très exactement ce que je suis en train de faire, là. Désormais, les projecteurs doivent être braqués sur ces acheteurs de viol et tous ceux qui perpétuent cette culture du viol.
Un an plus tôt, je commençais à peine à lire des témoignages d’autres survivantes et c’est ce qui m’a poussé à rejoindre la marche mondiale des survivantes. C’est une façon pour moi de sortir de ma léthargie et de panser mes plaies. De me persuader que non, je ne suis pas morte le jour où on m’a violée pour la première fois. Que j’ai encore l’âme d’une battante. J’aimerais encourager d’autres prostituées et anciennes prostituées à sortir de l’ombre et à retrouver une indépendance qu’on pensait autrefois perdue. J’ai confiance en notre force. »
Fiji, une marcheuse et une survivante