Le 16 octobre 2019, la coalition européenne Appel de Bruxelles organisait un événement au Parlement européen, pour remettre la vision abolitionniste au coeur des politiques européennes en matière d’exploitation sexuelle et de prostitution. isala était invitée à partager son expérience et ses revendications pour la Belgique. Voici l’intervention de Maïté Lonne, éducatrice, militante et survivante.
« Aujourd’hui, il est possible de s’offrir un enfant des deux sexes, une femme et même un chien, pour un rapport sexuel tarifé qui n’est rien d’autre qu’agression sexuelle. L’exploitation du vivant et plus particulièrement le système de prostitution, est une mécanique de violence marchande qui accepte de mettre un prix sur des effractions du corps. Or, non seulement les violences sexuelles sont interdites dans nos lois, mais en outre, elles représentent un véritable problème de santé publique et non pas une simple problématique privée.
Ce 20 novembre 2019, nous allons fêter les 30 ans de la signature de la Convention internationale des droits de l’enfant. Force est de constater que nous en sommes presque toujours au même point ; la souffrance infantile reste un sujet tabou qui gangrène nos sociétés. Et quels genres d’individus pouvons-nous devenir lorsque l’on est formaté à cette violence depuis notre enfance et que nous refusons de recréer des liens entre enfants maltraités et adultes mal en point ?
Nous provenons d’une planète qui permet le meurtre, l’abus, l’agression et l’exploitation sexuelle des enfants et des femmes, depuis l’Antiquité. Et malgré la mise en place de diverses législations théoriques, nos habitudes ne changent pas dans la pratique. L’Europe ferme les yeux sur une réalité dont elle nie l’évidence : le berceau de l’exploitation sexuelle est l’extrême jeunesse.
Le fonctionnement de la prostitution en tant qu’industrie gérée par le crime organisé est bien connu. Le viol est un instrument de torture employé pour briser, soumettre et déshumaniser. L’enfant formaté à l’esclavagisme sexuel est muré dans un silence qu’il pense protecteur vis-à-vis des adultes de son entourage. Bien souvent les proxénètes violeurs créent un effet de syndrome de Stockholm entre l’enfant agressé sexuellement et ses tortionnaires, de sorte que la victime devienne dépendante affective avec ses abuseurs. Et lorsque les parents sont complices, les petits se retrouvent face à un conflit de loyauté indescriptible ! Une seule règle d’or : le silence !
Ces crimes sont photographiés, filmés, vendus, échangés, achetés et produits, au cœur d’un système de prostitution bien rodé, devenu indissociable d’Internet. Le rapport officiel dévoilé par le New-York Times et les recherches d’ECPAT international sont alarmants : nous sommes dans une crise mondiale avec plus de 45 millions de photos et de vidéos d’enfants violés dont les agressions se sont vendues sur internet, rien qu’aux États-Unis en 2018. Aujourd’hui, les pédocriminels clients de la prostitution des enfants et les prostitueurs des jeunes femmes sont tous connectés en communautés via les réseaux sociaux. Mais qui va avoir le courage de porter plainte contre Facebook et les autres réseaux sociaux concernés pour leur implication dans l’exploitation sexuelle ? Où sont les effectifs chargés de lutter contre ces phénomènes sachant que 90% du personnel formé donne priorité au terrorisme international ? Nos enfant sont donc oubliés et laissés à l’abandon ! Comment peut-on massacrer notre avenir ?
Les mises en scènes horribles d’agressions sexuelles sont utilisées pour la création de catalogues, présentés aux clients potentiels. On peut y apercevoir un nombre incalculable d’enfants pratiquant des fellations, sodomisés, violentés, torturés, pénétrés par des objets, maquillés, dont les jambes sont fermement maintenues en l’air grâce à des bâtons, quelques petites filles yeux bandés sont menottées sur une chaise ou allongées sur une table, et ficelées à l’aide d’une corde reliant la gorge, aux jambes, de sorte que l’enfant s’étrangle s’il se débat. D’autres portfolios comportent des photos d’enfants agressés sexuellement par des chiens et quelques chèvres ou encore assis sur les toilettes, yeux bandés, corps entouré de barbelés, poings liés, aux côtés d’un adulte au visage masqué par une cagoule de cuir et d’autres fois, le visage mis en évidence. Quelques enfants ont le visage tuméfié, d’autres assument leurs prestations comme de véritables prostitué.es professionnel.les, tandis que d’autres encore sont drogué.es, souriant.es ou sont forcé.es d’abuser de recrues plus jeunes. Des scènes d’abus sexuels dans des baignoires ou canapés, majoritairement perpétrés par des hommes et l’une ou l’autre femme.
Bon nombre d’enfants ont été formés très jeunes, en pratiquant des fellations sur de petites bouteilles en verre de type Coca-cola. L’hymen des petites filles est d’ordinaire forcé avant la mise en vente, ou préservé pour n’offrir que des fellations et des sodomies moins facilement décelables par les médecins. Beaucoup de ces enfants sont obligés de regarder des films pornographiques avant d’être contraints à l’imitation. D’autres sont initiés par leur proxénète, premiers clients ou parents. Un seul but : être rentable !
Les proxénètes et rabatteurs d’enfants utilisent diverses techniques de formatages inspirées du comportementalisme. Les abus sexuels entraînent une dissociation chez les enfants expressément préparés à la vente en dessous de 7 ans. Ils se créent des alter qui compartimentent l’enregistrement de leurs souvenirs. Certains enfants ont développé plus d’une quarantaine d’alter pour faire face au formatage prostitutionnel. Au plus la victime est jeune, au plus elle sera réceptive au conditionnement. Les petits sont disciplinés comme l’on dresse un chien à l’obéissance. En 2019, l’âge de ces enfants n’a plus aucune limite : de plus en plus de nourrissons sont violés dès la naissance, avant que leurs agressions soient vendues aux plus offrants. Et ces crimes se déroulent ici, dans nos pays.
Ces enfants victimes d’agressions sexuelles dans leur famille ou par des étrangers sont totalement invisibilisés ! A peu de chose près, ils n’existent pas ! Beaucoup d’entre eux se retrouvent en prison pour enfants suite à des comportements délictueux, en hôpital psychiatrique sous camisole chimique ou dans la rue sans aide. La Dr Muriel Salmona parle d’un besoin de disjonction dans le cerveau des victimes. C’est-à-dire que pour se réapproprier leur corps, elles peuvent adopter un comportement violent envers elles-mêmes et se diriger vers une prostitution d’autodestruction en n’étant plus sous le joug d’un proxénète. La Dr Emmanuelle Piet souligne également qu’un enfant qui a connu des violences, et particulièrement des agressions sexuelles, aura 6 fois plus de chances de retrouver des violences à l’âge adulte, sous forme de violence dirigée vers soi-même ou vers autrui. Les enfants des deux sexes et les femmes sont soumis.es à ce système de violence permanent et intemporel, entre patriarcat exacerbé et capitalisme démesuré.
Si je m’adresse à vous aujourd’hui, c’est parce que j’ai rencontré un grand nombre de ces anciennes victimes et des professionnel.les qui les accompagnent. Je suis éducatrice, militante, porte-parole de l’association Resanesco qui accompagne des enfants victimes et je suis aussi membre de l’observatoire des violences faites aux femmes. Mais avant toutes choses, oui #MeToo, dès mon plus jeune âge, j’ai été victime de violences physiques, psychologiques et sexuelles, entre abus intrafamiliaux et traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle. J’étais une enfant brisée, autodestructrice et en colère. Dès l’âge de 11 ans je me scarifie, deviens anorexique et puis droguée. Aucun médecin n’a été capable de m’aider et personne ne m’a parlé de symptômes de stress post-traumatique. Par la suite, j’ai été victime d’une séance d’abattage avant d’être vendue dans un réseau liégeois dont le chef est encore à l’heure actuelle en prison. De nos jours, même si je chemine vers une certaine résilience, mes relations sont encore impactées par des stigmates invisibles et l’aide proposée n’est pas vraiment adaptée.
Quelques survivantes de la prostitution témoignent de l’horreur des tortures et menaces subies : coups et blessures, humiliations, brûlures au chalumeau, repassage du ventre ou des seins, amputation de doigts, lacérations au couteau, découpage des mamelons, introductions d’objets inappropriés ou tranchants dans le vagin ou de produits nettoyants, et coups de fouets à l’aide de câbles électriques. Les proxénètes et clients de la prostitution se métamorphosent en tortionnaires. Il faut arrêter de compartimenter les agressions sexuelles comme si elles étaient divisées en plusieurs catégories. N’oublions pas que la prostitution est une affaire de violence et non pas de sexe.
Les brigades spécialisées dans le démantèlement des réseaux de traite sexuelle peinent à enquêter librement. Elles sont constamment confrontées soit à l’absence de moyens, soit à l’absence de motivation ou bien encore à la corruption. Il est donc très difficile de mener une action contre ce type de crime, sans en être empêchés. Le manque de moyens financiers est systématiquement invoqué lorsque l’on questionne l’inaction des instances politiques et judiciaires. Pourtant, nous dépensons des millions pour des choses futiles et sans intérêt. Ce constat questionne vis-à-vis du laxisme qui entoure la lutte contre l’exploitation sexuelle et la non-reconnaissance des victimes. Pour quelles raisons ne donnons-nous pas la possibilité aux personnes compétentes de réaliser leur travail ? Seriez-vous finalement complice de cette omerta ? L’un d’entre vous serait-il à la tête de l’un de ces réseaux ?
A ce jour, il existe différents groupes de citoyen.nes qui luttent sur internet contre la vente des agressions sexuelles ou la prise de contact entre les agresseurs et les enfants. Leur but : faire condamner les prédateurs mais aussi retrouver ces enfants et ces très jeunes filles. Aux États-Unis et en Angleterre, ces citoyen.nes travaillent conjointement avec les forces de l’ordre qui sont dépassées par le nombre de victimes à travers le monde. Dans nos pays francophones, un collectif citoyen nommé « La Team Moore » dont les membres exercent depuis différents pays européens, a fourni la preuve que seul le manque de volonté politique est la cause de l’inefficacité des corps de métiers en charge de ces affaires. Est-il normal que le peuple se soulève pour pallier les manquements de nos dirigeants ? Et si nos dirigeants ne sont pas capables de sauver le peuple, alors à quoi nous servent-ils ?
La lutte contre la culture pédocriminelle et prostitutionnelle doit être une priorité nationale et internationale ! Il est urgent de créer des véritables dispositifs fonctionnels ayant les moyens nécessaires pour agir efficacement. Certaines lois ne sont même pas applicables. D’autres sont bafouées par l’Etat lui-même devenu voyou multirécidiviste. D’autres encore sont inexistantes. La création d’un réseau européen capable de collaborer efficacement entre pays mais aussi avec d’autres continents est capitale ! Pour rappel, l’affaire Epstein est un dossier international !
La lutte contre le démantèlement du système de trafic et de traite des êtres humains passe inexorablement par la reconnaissance de la prostitution comme étant une violence spécifique faite aux femmes et aux enfants. Les rouages de la marchandisation des corps représentent l’entrée de l’univers singulier de l’industrie exorbitante du sexe. Pour une victime reconnue, 99 victimes restent dans l’ombre. Nous sommes tous complices de cette non-assistance à personne en danger au niveau planétaire. Cessons cette hypocrisie qui consiste à dire que les réseaux n’existent pas en Europe. Je ne suis pas un mythe et toutes les victimes que je représente aujourd’hui devant vous, femmes et enfants, sont réelles. Aidez-nous. Aidons-les. Levez-vous de vos sièges et place à l’action ! »