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Immersion dans la culture pédocriminelle et prostitutionelle

Survivante de pédocriminalité et militante contre les violences sexuelles faites aux enfants, porte-parole d’Innocence en danger Belgique, Maïté Lønne, a publié fin novembre un nouveau livre qui démonte les mécanismes de la « culture pédocriminelle et prostitutionnelle ».

Elle est l’une des rares femmes à oser prendre la parole en Belgique pour dénoncer le système pédocriminel et prostitutionnel. isala a pu accompagner Maïté Lønne dans plusieurs actions de sensibilisation, la toute première fois étant en novembre 2018, lorsqu’elle a pris la parole avec d’autres survivantes lors de l’événement « #MeToo et la prostitution » organisé par le Mouvement du Nid à Paris. Vous pouvez lire son témoignage « Les femmes et les enfants ne sont pas des articles que l’on échange comme des cartes postales » ou voir la vidéo de son intervention.

Puis, en octobre 2019, isala l’a accompagnée lorsqu’elle a pu partager son témoignage au Parlement européen lors de l’événement organisé par l’Appel de Bruxelles, la coalition mondiale pour l’abolition de la prostitution. Nous partageons son texte fort sur notre site.

En juin 2020, isala l’accompagne encore pour le lancement de la campagne européenne #WithHer : avec 5 autres femmes survivantes de violence masculine, elle dénonce l’inaction des gouvernements devant l’exploitation des femmes et des enfants.

Prendre la parole est essentiel pour être reconnue et se reconstruire. Voici ce qu’en dit Maïté : « Auparavant, lorsqu’on me demandait comment j’allais, je répondais : « Je survis ». Il n’y a pas si longtemps, j’ai répondu : « Je vis. » »

Dans ce livre, sous-titré « Analyse de l’exploitation sexuelle à travers le récit », Maïté Lønne alterne une analyse du système sous différents angles de vues – violences, conséquences, choix, médias, idéologie, réseaux criminels, hypersexualisation, fragmentation corporelle, omerta, ou encore modèles législatifs, avec des témoignages de survivantes de la prostitution et de la traite. L’alternance de tous ces chapitres permet de comprendre comment tous les secteurs de la société sont impactés par cette culture pédocriminelle qui favorise le développement du système prostitueur, machine à détruire, et montre comment il faut écouter la parole des survivantes pour que le système puisse être stoppé.

C’est notre cofondatrice et ancienne présidente, Pierrette Pape, qui signe la postface du livre, que nous vous partageons ici.

« Maïté, Anne, Rosen, Doriane, Pascale, Sarah, Regina, Henry, Hilde, Solene, Anneke : des femmes et des hommes qui ont eu ce courage immense de parler, d’oser briser le silence.

Pour isala, l’association de terrain que j’ai cofondée en 2013 à Bruxelles, ces paroles sont rares mais tellement précieuses. Depuis 5 ans, notre équipe de bénévoles va à la rencontre des personnes en situation de prostitution, chaque semaine, et les accueille lors d’une permanence pour offrir une écoute, une aide, un soutien inconditionnel. Des accompagnements se mettent en place, des projets se réalisent, des femmes sortent de la prostitution et recouvrent le goût de vivre. Nous savons les difficultés et la détresse, nous entendons au quotidien les horreurs vécues dans l’enfance, la violence, la pauvreté, le rejet, la peur, les parcours de migration dangereux, les enfermements psychologiques. Nous voyons leur force, leur résilience pour avancer et ne jamais baisser les bras, leur volonté de s’en sortir, pour elles et pour leurs enfants. Nous accueillons leur colère, leur joie, leurs pleurs, leur humour.

Mais très peu d’entre elles prennent la parole publiquement, elles veulent d’abord survivre, se reconstruire, oublier le passé, et vivre « une vie normale », comme nous l’entendons toutes les semaines sur les trottoirs de Bruxelles. Comment en effet vouloir partager son vécu et ses douleurs, quand la société ne veut pas entendre ? Comment se sentir en sécurité quand on a dit les violences subies, quand la société continue de blâmer les victimes ? Quand l’impunité reste la norme ? Quand les féministes sont ridiculisées, et que la culture du viol est banalisée ?

Après tout ce qu’elles ont vécu, et malgré le contexte actuel de domination masculine, certaines d’entre elles ont ce courage de dire, de dénoncer. Leurs cris et leurs écrits sont là pour toutes celles qui ne pourront pas parler. Ce livre est indispensable et doit nous rendre humbles devant la force de ces survivantes et survivants. Alors même que notre action est mue par un sentiment d’injustice et une volonté d’égalité, ces témoignages nous rappellent constamment pourquoi nous faisons ce que nous faisons. Aller encore et toujours sur les lieux de prostitution, briser l’isolement, créer du lien, trouver des alternatives pour ces personnes qui vivent l’indifférence de la société, questionner la culture de l’individualisme et la société de consommation à outrance, demander des politiques publiques abolitionnistes.

Etre cru.e, être entendu.e : cela devrait être la base de la solidarité humaine, et pourtant cette absente d’écoute est le plus grand obstacle auquel les victimes font face pour pouvoir sortir du cycle des violences sexuelles et se reconstruire.

Si la société ne veut pas comprendre les mécanismes qui justifient et perpétuent les violences sexuelles, si elle laisse l’impunité prévaloir dès le plus jeune âge, alors les victimes resteront dans le silence, et le continuum des violences pourra s’exercer, encore et encore. Lorsque les personnes que nous rencontrons nous font confiance, et qu’elles partagent leur histoire, nous constatons quasi systématiquement un vécu de violences répétées, qui ont pris racine dans l’enfance, qui ont abîmé l’estime de soi et qui ont été perpétrées par la famille, les institutions, la société, tout au long de leur vie. Comme nous l’a dit une jeune femme bulgare que nous accompagnons, « c’est quand j’ai compris que ce n’était pas ma faute, grâce à une psychologue, que j’ai pu me reconstruire, et j’ai alors eu la rage contre ce système et contre toutes les personnes qui ont vu mais n’ont rien fait ».

Croire et entendre, cela veut aussi dire traduire les principes féministes dans les politiques publiques : c’est en partant de la parole des survivantes que la société doit mettre en place des mesures pérennes et ambitieuses, qui visent l’égalité, la dignité, la solidarité. Comme les autres associations de terrain qui agissent auprès des personnes en situation de prostitution, avec l’objectif d’égalité femmes-hommes et de droits humains, isala soutient le modèle nordique ou français, un abolitionnisme qui renverse la honte et la culpabilité, et n’a pas peur de s’attaquer à ceux qui profitent de la vulnérabilité des plus fragiles, proxénètes, trafiquants et clients. Le système prostitutionnel et pédocriminel a de beaux jours devant lui si nous ne rendons pas hommage au courage de Maïté de et tou.tes celles qui témoignent dans ce livre, en agissant maintenant pour mettre fin à cette culture de violence dévastatrice.

Ce livre est un défi lancé aux personnalités politiques de tous les pays : aurez-vous l’audace et le courage d’entendre et de comprendre ? D’agir maintenant pour protéger dès aujourd’hui les enfants et les adultes qu’ils et elles vont devenir ? Il est temps d’ouvrir les yeux. Il est indispensable que la parole des survivant.es soit entendue. Il est urgent de lire ce livre. #EcoutezLesSurvivantes

Pierrette Pape
Cofondatrice, présidente puis directrice de l’association isala, militante féministe »

Merci au Mouvement du Nid pour la mise en valeur de la citation suivante. Vous pouvez vous procurer l’ouvrage ici (Editions Academia).